Recette pour faire la bonne encre
1° quatre ou cinq pintes de vin baissières
2° une livre de noix de gale*concassée
3° demie* livre de couperose verte
4° deux onces vitriol bleu
5° trois onces alun de roche
6 ° trois onces de gomme arabique
7° deux onces sucre candie
Mettez le tout ensemble dans un vase de graie*, brassez le tout pendant 8 jours, 5 à 6 fois par jour sans faire chaufer* ni au feu ni au soleil. Ensuite servez-vous en. Quand vous aurez tiré une pinte d’encre, remettez une pinte de vin, brassez 3 ou 4 fois. Si elle vient à la longue à s’affaiblir, il faut y remettre un peu de chaque chose à proportion de vin qu’on y mettra. Si elle n’est pas assez noire, augmentez le vitriol. Si elle ne coule pas assez, augmentez l’alun. Si elle coule trop, augmentez la gomme.
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*Orthographe du texte originel
Un registre perdu dans un grenier d’un ancien notaire qui tombe sur un lot de minutes délaissées dans un coin. Un déménagement programmé oblige ce notaire et sa « bonne conscience » à nous signaler ces archives. Une belle trouvaille que ce registre qui, entre parenthèse, concernait un notaire d’une autre commune que celle dont relevaient les minutes à verser !
Voilà donc une surprise inattendue que nous aurions pu chercher pendant des lustres vainement !
Cette recette découverte dans ce registre, coté 4 E 13/50, daté de 1731, est sans doute l’œuvre de maître BRIQUET en exercice à Saint-Pardoux en Haute-Vienne au XVIIIe siècle. Écrite à l’encre ferrique sur une feuille collée au dos de la page de couverture, elle est significative de l’importance d’un savoir faire à transmettre aux associés et/ou collaborateurs des officiers ministériels.
Cette encre indélébile, dénommée également, encre à l’ancienne ou encre perpétuelle a servi aux scribes médiévaux, aux dessinateurs de la Renaissance. Elle a été l’encre des Essais de Montaigne et de la déclaration des droits de l’homme. Emblématique des écrits monastiques, elle fut un trésor des moines copistes qui gardaient secrètement leur recette. Chaque corporation de métier en correspondance avec les usages du lieu de résidence avait élaboré sa recette unique qui variait principalement au niveau des dosages et des choix de couleur des sulfates de fer. Cette fabrication d’encre, dont le principale désavantage était d’attaquer le support d'écriture en finissant par y laisser des trous, a reculé devant les encres de synthèse à partir de 1850.
Dossier préparé par Pascale LEFEVRE-DORPH
Noix de galle : Excroissances rondes provoquées par la piqûre d'un insecte dans les feuilles du chêne.
Vitriol bleu : Nom donné au sulfate de cuivre de couleur bleu intense. Aussi appelé vitriol de Chypre ou vitriol de Vénus. Source : Centre de Recherche sur la conservation CRC.
Gomme arabique : Epanchement de sève provenant d’un arbre de la famille des acacias, de pruniers ou cerisiers servant de liant.
Baissière : n. f. Reste du vin dans un tonneau lorsqu’il approche de la lie ou liqueur un peu trouble qui couvre la lie du vin.
Alun de roche : n. m. Pierre minérale désignant un double sulfate d’aluminium et de potassium.