Le Prince Noir aux Archives départementales de Haute-Vienne

La note de l'auteur

Dans le cadre d’un stage de master en histoire médiévale, les Archives Départementales m’ont confié une mission d’analyse des sceaux présents dans leurs fonds. Afin de permettre l’accès à ce patrimoine méconnu au grand public comme aux chercheurs, les résultats de cette étude sont progressivement intégrés à SIGILLA, une base de données sigillographique en ligne à usage scientifique. Le 8 janvier 2024, des agents des Archives départementales et moi avons été formés dans ce but par M. Laurent Hablot, enseignant-chercheur à l’université de Poitiers, et Mme Catherine Kasteleiner, ingénieure de recherche à l’université de Strasbourg, tous deux responsables du projet SIGILLA.

Au cours des semaines qui ont suivi, les documents et leurs empreintes se sont ainsi succédé. Si la période couverte par les pièces s’étend du XIIe siècle au XVIIIe siècle, la majeure partie d’entre elles provient des XIIIe et XIVe siècles – et voilà qui tombe bien, c’est ce dernier qui a produit l’exemple remarquable dont va traiter ce billet.


L’acte qui nous intéresse (cote 1 E 1 / 380) est en somme assez anodin : un contrat de mariage entre un certain Itier Moussati, et Alays Renouart, dans le pays de Limoges. Il s’agit plus exactement de la copie du contrat de mariage : l’original a été rédigé en 1335, tandis que cette version est datée de 1368.

Trente-trois ans se sont donc écoulés entre les deux rédactions. Or, nous sommes en Aquitaine, une région qui a connu une activité particulièrement riche au fil de ces décennies, et au-delà, puisque – pour résumer – sa domination constituait un argument employé par Edouard III d’Angleterre pour revendiquer la couronne de France. Tout cela s’inscrit dans une guerre qui devait durer cent seize ans.

Le contexte historique nous happe lorsque l’on observe le sceau appendu au parchemin. À l’avers, celui-ci exhibe un écu reconnaissable entre mille : écartelé aux armes de France en I et en IV, et d’Angleterre en II et en III, dans un quadrilobe. À l’aide d’une loupe et d’un bon éclairage, on devine même un lambel à trois pendants brochant sur l’écartelé. Ce blason, c’est celui d’Édouard de Woodstock, prince de Galles, mais aussi d’Aquitaine, depuis que son royal géniteur l’a nommé à ce titre le 19 juillet 1362.

Faut-il en déduire que celui que l’on connaît mieux sous le sobriquet du Prince Noir s’est occupé de sceller les actes matrimoniaux sous son territoire ? Assurément non. En pleine trêve de Brétigny entre la France et l’Angleterre, le Dominus Principe Aquitanie, tel qu’il s’intitule en suscription de l’acte, a bien d’autres affaires à traiter ; notamment, faire valoir son autorité sur la France anglaise. Néanmoins, il a pu nommer des gardes des sceaux, des officiers assermentés autorisés à porter une matrice afin de frapper son sceau. En tant que garantie juridique, les sceaux sont une marque de pouvoir : les documents qui portent celui du Prince Noir sont placés sous sa protection. Une bonne administration est un bon moyen de s’assurer la fidélité de ses sujets, et c’est ainsi que la copie du présent contrat est réalisée sous l’autorité d’Édouard de Woodstock. Deux ans après l’apposition de ce sceau, la ville de Limoges ouvre ses portes aux troupes françaises, décision que ledit Prince Noir châtie aussitôt en la mettant à sac.

Pour l’étude, plusieurs particularités se dégagent de cette empreinte. En premier lieu, c’est son état de conservation : elle est pratiquement complète, et l’impression dans la cire est encore assez nette, quoique patinée par le temps ; elle nous renseigne sur l’expression du pouvoir aquitain à cette période ; enfin, malgré plusieurs heures à égrainer la littérature sur le sujet, elle ne semble pas encore avoir été référencée. Voici de quoi faire une jolie pièce pour le fonds d’archives.


Dossier préparé par Cyril Auxépaules, stagiaire (Master histoire médiévale à l'Université de Nantes), en charge de l'analyse des sceaux et de leur identification sur Sigilla.


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